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Le rôle des émotions dans la douleur chronique - Apport des TCC

13/01/2025

Le rôle des émotions dans la douleur chronique - Apport des TCC

En France et dans le monde, la prévalence de la douleur chronique varie entre 10,1 et 55,2 % de la population générale (Haute Autorité de santé, 2009).

L’International Association for the Study of Pain définit la douleur comme une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion réelle ou potentielle ou décrite en des termes évoquant une telle lésion (Merskey, 1986). Par conséquent, la douleur est ce que la personne qui en est atteinte exprime. La douleur chronique, ou encore nommée « syndrome douloureux chronique » est un syndrome multidimensionnel, où se retrouvent des aspects sensoriels, émotionnels (anxiété, stress, ..) et sociaux (répercussion financière, isolement..).

Ce symptôme existe dès lors que la personne affirme la ressentir, qu’une cause soit identifiée ou non, quelles que soient sa topographie et son intensité. Ce syndrome douloureux chronique répond à plusieurs caractéristiques :

  • persistance ou récurrence, qui dure au-delà de ce qui est habituel pour la cause initiale présumée, notamment si la douleur évolue depuis plus de 3 mois;
  • réponse insuffisante au traitement ;
  • détérioration significative et progressive du fait de la douleur, des capacités fonctionnelles et relationnelles du patient dans ses activités de la vie journalière, au domicile comme à l’école ou au travail.

Il est important de noter qu’elle peut être accompagnée de

  • de manifestations psychopathologiques ;
  • d’une demande insistante par le patient de recours à des médicaments ou à des procédures médicales souvent invasives, alors qu‘il déclare leur inefficacité à soulager ;

 

Il est impossible de ressentir la douleur pour autrui, elle n’est pas visible en imagerie médicale, comme le serait une fracture, ou mesurable avec un appareil, comme la tension artérielle, ou par un test sanguin. La douleur est une expérience personnelle qui doit être accueillie sans jugement.

La douleur déclenche une réaction d’alerte et d’attention ainsi que du stress (réaction de défense face à une menace ressentie) ; ces réactions saines permettent de développer des stratégies d’adaptation (recherche de soulagement, consultation médicale, mise au repos de la région du corps souffrante...). Si la douleur persiste, ces réactions s’épuisent, et le stress devient chronique avec l’installation de troubles du caractère, de la fatigue, de la perte d’envie et de la perte d’énergie. S’ensuivent l’inactivité physique, le retrait de la vie professionnelle et sociale, la perte de contact avec ses amis ce qui conduit à la déprime de la personne douloureuse. L’entourage en souffre qu’il soit de la sphère conjugale, familiale ou professionnelle.

Par ailleurs, il faut souligner que deux personnes différentes ne ressentiront pas une même douleur de façon similaire. En effet, le cerveau n’interprète pas de la même manière les messages de douleur selon les personnes. De plus, nous ressentons et exprimons notre douleur en fonction de notre expérience de vie personnelle.

Enfin, parfois, le système d’alarme de la douleur est en défaut par le fait qu’il alerte alors qu’il n’y a pas nécessité (pas de blessure ou maladie concrète) ou alors le message est disproportionné par rapport à la taille de la lésion ou de son origine. L’absence de lésion évolutive visible ne veut pas dire qu’il n’y a pas de douleur. Il s’agit d’un dysfonctionnement du système nerveux qui code pour la douleur.

La douleur chronique peut s’accompagner de troubles psychologiques.

La dépression est le trouble psychologique le plus habituel parce qu’elle est une conséquence de l’impact invalidant de la douleur et la dépression n’est pas causée par la douleur elle-même. Votre aptitude au travail, votre difficulté à être présent dans la sphère sociale, à interagir dans votre famille ou encore pouvoir participer à des loisirs font que vous êtes déprimés.

De plus, la douleur chronique fait ressurgir des peurs dont celle d’un accroissement de la douleur, qu’elle restera présente dans l’avenir, peur de réaliser certaines tâches qui peuvent augmenter la douleur, peur de ne plus pouvoir être opérationnel professionnellement ou de devoir cesser de travailler. La dépression s’associe alors à une anxiété générale et ce qui amène la personne douloureuse à des pensées de catastrophisme liées à cette menace qu’est la douleur, ce qui amplifie le ressenti du fait douloureux. Selon les chercheurs, la dramatisation augmente la douleur et peut aussi accentuer la peur, l’anxiété, la dépression et le stress. A contrario, une anxiété légère peut nous encourager à faire les démarches nécessaires (prise de rendez-vous médicaux ou de bien-être, recherche d’informations…) et vous permettre d’affronter la douleur.

Ces réactions que sont la peur et l’anxiété doivent faire l’objet d’une prise en charge pour qu’elles n’augmentent pas la douleur et que tout devienne un cercle vicieux.

Enfin, la colère et la frustration sont fréquemment présentes lorsque les douleurs paralysent la personne depuis plusieurs mois. La frustration est une réponse émotionnelle normale puisque cette douleur empêche la concrétisation des buts fixés, qu’ils soient professionnels, de type activités sportives ou encore relations familiales et conjugales. Lorsque le temps passe et qu’aucune solution ne se profile, la colère accompagne la frustration. Cette colère est aussi bien dirigée contre soi-même que contre l’entourage, ce qui conduit bien souvent à détériorer les relations familiales ou professionnelles. La colère intérieure est le nid à la dépression, au manque d’estime de soi et va aussi à nouveau alimenter une plus grande sensibilité à la douleur.

L’enchevêtrement entre douleurs et émotions est de plus en plus démontré. Les émotions sont autant une vulnérabilité qu’une alliée lorsque la douleur a régressé même sur un temps court. Répétons-le, du moment que la personne exprime de la douleur, celle-ci existe. Toutefois, par le biais des neurosciences, nous savons maintenant que les douleurs rebelles peuvent être la trace d’expériences de type traumatique, pouvant être liées à l’enfance et ayant, par exemple, laissé des signaux neuropsychologiques. Il s’agit donc de faire comprendre au patient douloureux que c’est une possibilité d’exploration complémentaire pouvant conduire à un allégement ou un soulagement des douleurs perçues en dehors du médicament.

Les émotions sont donc une vulnérabilité comme un facteur de maintien.

Les émotions font partie intégrante de la douleur, ce qui d’ailleurs est contenu dans sa définition actuelle, selon l’Association internationale pour l’étude de la douleur (IASP) : « Une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable […] ». Dans le domaine des neurosciences, les recherches ont montré que « l’influx nerveux nociceptif » généré par une lésion du corps ne devient une « douleur » qu’après son analyse par les centres cérébraux impliqués dans la cognition, la mémoire et les affects.

Cette combinaison sensorielle et émotionnelle est à partager avec les patients comme une donnée à mieux reconnaître, parce qu’elle amène de nombreuses possibilités de soulagement. Diverses psychothérapies, dont notamment les thérapies cognitives et comportementales, permettent d’explorer les sensations douloureuses ressenties, d’identifier leurs liens avec les émotions ou ses propres vulnérabilités, pour mieux les accueillir, mieux les contrôler ou mieux les surmonter.

Les travaux de neurosciences reconnaissent cette approche au niveau cérébral, en montrant que le psychisme est un modulateur puissant de la douleur à la fois dans sa capacité à la freiner mais également à l’amplifier, que le cortex peut faire apparaître une douleur «mémoire» sans « localisation » extérieure, comme dans certaines douleurs «fantôme» après amputation.

La recherche en imagerie cérébrale de la douleur a montré qu’il existait des zones pressenties qui correspondaient au corps et qui représentaient l’entrée du message et des zones non spécifiques comme des zones émotionnelles ou cognitives communes à d’autres activités mentales. De plus, il existe ainsi une superposition entre les aires émotionnelles et la matrice de la douleur. Le message douloureux arrive alors au niveau d’aires cérébrales primaires prévisibles, modifiées par des processus cognitifs et émotionnels qui lui donnent du sens.

Phénomène d’hypersensibilisation

Lorsqu’une personne vit avec des douleurs chroniques, ses terminaisons nerveuses, ses nerfs et son cerveau sont toujours en état d’alerte. Ils deviennent donc beaucoup plus vigilants, sensibles, à tout ce qui les entoure. La douleur n’est alors pas synonyme de blessure.

Chez les personnes avec un système nerveux hypersensible, les émotions modulent l’analyse faite par le cerveau et changent la conclusion sur le danger potentiel. Les émotions peuvent alors augmenter ou diminuer indirectement la douleur. Si l’on examine les émotions négatives comme la peur, le stress, l’anxiété, la tristesse, la colère, elles font augmenter l’intensité de la douleur. Dans le cas des émotions positives comme la joie, la gratitude, la fierté, elles diminuent l’intensité de la douleur. Pour les personnes ayant des douleurs chroniques, la présence de la douleur depuis plusieurs mois conduit à des émotions telles que la frustration, la colère, l’anxiété ou la tristesse. Le cerveau perçoit ces émotions et la douleur est alors augmentée.

La douleur et somatisation

La souffrance morale peut s’exprimer parfois par la souffrance du corps et c’est ce que l’on nomme somatisation. Des études montrent que le syndrome de stress post-traumatique est plus fréquemment retrouvé chez les malades douloureux chroniques. Cette douleur persistante semble cohabiter avec celle de l’émotion liée au traumatisme. Enfin, de nouveaux travaux indiquent également un lien entre le sentiment d’injustice et l’intensité de la douleur.

L’apport des Thérapies Comportementales et Cognitives (TCC) dans les syndromes douloureux

Elles sont en prolongement de l’approche multidisciplinaire de la douleur chronique. Elles sont la démarche scientifique appliquée à la psychothérapie. Elles se centrent sur le comportement douloureux chronique.

Elles sont donc une méthode psychothérapique structurée, de durée généralement brève, et ayant fait initialement l’objet de multiples travaux dans le traitement des patients dépressifs et anxieux.

Elles sont mieux acceptées par les patients douloureux puisqu’elles ne sont pas purement « psy » mais soutiennent le client par des méthodes et outils. Elles sont validées par des recommandations internationales parce qu’elles ont prouvé leur efficacité chez ces patients.

Les étapes clefs de cette prise en charge sont une analyse fonctionnelle. Par celle-ci, tous les antécédents et les situations sont mis en perspective pour répondre aux objectifs thérapeutiques. C’est une évaluation des cognitions, des croyances, des émotions et des comportements inappropriés en relation avec cette douleur. Par ailleurs, des mesures par des échelles et des questionnaires sont proposés aux clients de façon à obtenir une ligne de base. Ces mesures seront renouvelées pendant et en fin de thérapie de manière à obtenir un suivi structuré de l’avancement de cette prise en charge. De plus, une attention particulière sera apportée à la motivation du patient à entreprendre cette démarche par cette thérapie. Si besoin, un entretien à caractère motivationnel sera entrepris.

Enfin, l’alliance thérapeutique entre le patient et le thérapeute est essentielle et elle repose sur la bienveillance, l’empathie, le non-jugement et la congruence.

Différentes méthodes et des outils variés sont à disposition du client et de son thérapeute. Ceux-ci sont choisis en accord avec le patient et sont également déterminés par une analyse fine des mesures par les échelles et questionnaires passés. Différentes approches coexistent mais toutes prennent appui sur une certaine éducation thérapeutique sur la douleur (psychoéducation). En effet, mieux connaitre son « état » permet au patient de comprendre les implications corporelles, émotionnelles, cognitives, comportementales… et ainsi mieux s’engager dans le plan thérapeutique décidé collaborativement. En outre, pour booster l’acquisition de la prise en charge, des tâches au domicile sont proposées au patient (celles-ci ont toujours été expérimentées en séance).

La quatrième vague des TCC va dans le sens que le fait d’accueillir la douleur va aider le patient (Thérapie d'acceptation et d'engagement - ACT). L’explication en est que le cerveau, sachant conduire une seule action en même temps, est débarrassé de ruminations relatives à la colère, frustration… par rapport à cette douleur et est alors plus opérationnel pour entreprendre des opérations visant un certain soulagement et conduire à un mieux-être.

Quelques unes des méthodes sont :

  • Mieux comprendre ce qu’est un syndrome douloureux (psychoéducation) : il s’agit d’un premier pas pour mieux se prendre en charge, se comprendre, se tolérer et informer, par exemple, son entourage de certaines réactions qui peuvent être incompréhensibles de l’extérieur, mais sont explicables et associées à la douleur, à la fatigue générée par la douleur, la prise de médicaments et bien souvent, leurs effets secondaires…
  • Prendre en charge les émotions : ce syndrome douloureux provoque une détresse émotionnelle, apparaissant sous forme de désespoir, d’inquiétude, de frustration ou de colère. Les thérapies cognitives et comportementales vous accompagnent dans l’identification, la compréhension, la régulation, l’expression et l’utilisation des émotions ainsi que de la gestion du stress en relation avec la douleur et ses conséquences. Cette régulation émotionnelle est aussi favorable à de meilleures relations avec son entourage familial, conjugal, ou professionnel… Comme expliqué plus haut, il existe un apprentissage neuronal de la douleur qui se fait dans des structures liées aux émotions, ce qui a long terme va augmenter la sensibilité au stress. Il ne faut pas oublier l’effet positif et dans notre cas l’effet négatif de la plasticité cérébrale.
  • Changer les schémas de pensées et de croyances négatifs : la thérapie cognitive et comportementale aide à identifier et à travailler sur les pensées et les croyances négatives relatives à la douleur. Elle permet de désanctuariser certaines croyances bien ancrées dans la population : elles ne sont pas un soutien pour aller de l’avant. Elles ne permettent pas d’accueillir le syndrome douloureux pour que ce ne soit pas un combat quotidien aux niveaux psychologique et physique. La personne douloureuse se souviendra que les pensées négatives ou les fausses croyances conduisent à des ruminations, qui emplissent le cerveau. Or, notre cerveau ne sait faire qu’une action à la fois. Occupé à se débattre dans les ruminations, il n’est pas disponible pour lutter de manière positive contre le syndrome douloureux.
  • S’adapter avec des compétences apprises et personnalisées : des méthodes ou techniques d'adaptation variées sont disponibles en thérapies cognitives et comportementales pour gérer au mieux la douleur et ses conséquences. Les techniques de relaxation, les exercices de respiration profonde, la pleine conscience, l'imagerie guidée, la visualisation, les méthodes d’exposition, les techniques d’ancrage, certaines techniques de dessin méditatif peuvent être utilisés pour détendre le corps et réduire la tension. De plus, l’apprentissage de la technique de résolution de problèmes et la détermination d'objectifs peuvent aider à identifier les moyens adaptés dans la gestion des problèmes liés à la douleur dans la vie de tous les jours. Enfin, les outils relatifs à l’affirmation de soi, la recherche de ses points forts ainsi que la recherche de ses valeurs vont toutes dans le sens de mieux gérer cette douleur.
  • Transformer son comportement : les thérapies cognitives et comportementales sont un soutien pour identifier les comportements inadaptés qui peuvent accentuer la douleur. Elles favorisent l'adoption de comportements profitables et aident à mettre l’accent sur les comportements dommageables après un travail habituel en TCC sur les situations, comportements, cognitions et émotions.
  • S’armer pour mieux s’autogérer : les thérapies cognitives et comportementales ont permis à la personne douloureuse de mieux se connaitre, d’avoir mieux défini ses forces et ses limites, d’avoir mieux géré ses relations interpersonnelles et cette personne est donc mieux armée pour contrôler émotionnellement ses possibilités liées à la douleur sans ressentir un inconfort ou un malaise en parlant ouvertement de ses limitations. Par ailleurs, la personne douloureuse va se sentir plus libre de s’accorder des moments de repos lors de crises douloureuses, sans avoir mauvaise conscience, de mieux déterminer les moments les plus difficiles et alors d’avoir un plus grand contrôle et de gestion de la douleur, d’être moins impuissante et de devenir active dans la prise en charge de la douleur.

 

https://www.planetesante.ch/Magazine/Psycho-et-cerveau/Douleurs-chroniques/Le-role-des-emotions-dans-la-douleur-chronique

https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2009/revue-medicale-suisse-208/therapie-cognitivo-comportementale-de-groupe-et-douleur-chronique-attentes-et-satisfactions

https://www.researchgate.net/profile/Valerie-Piguet/publication/242720058_Douleurs_chroniques_et_therapie_cognitivo-_comportementale_de_groupe/links/00b495267c0c1be297000000/Douleurs-chroniques-et-therapie-cognitivo-comportementale-de-groupe.pdf